Le 25 novembre dernier, 11 équipes du World Tour ont révélé par des communiqués de presse la création de Velon, groupement les réunissant et ayant pour but de « rapprocher le cyclisme des fans et d’améliorer le cyclisme ».
Que faut-il comprendre de cette association ? Pourquoi les équipes françaises ne sont pas associées à ce mouvement ? Tentons d’y voir plus clair et de décrypter cette initiative.
Velon, association de bienfaiteurs ?
Velon a donc été dévoilé fin novembre et fondé par 11 équipes du World Tour : Belkin, BMC, Garmin Sharp, Lampre Merida, Lotto Belisol, Omega Pharma QuickStep, Orica Greenedge, Sky, Saxo Tinkoff, Giant Shimano et Trek Factory Racing. Comme évoqué précédemment, aucune équipe française ne figure dans cette liste alors que la FDJ, AG2R La Mondiale et Europcar (en 2014) étaient également en World Tour.
Dans les communiqués de presse, étrangement similaires entre les équipes ou même dans les déclarations sur les sites web ou via les réseaux sociaux, toutes les équipes se réjouissent de leur adhésion à ce groupe mais aucune n’arrive à clairement expliquer, peut-être est-ce volontaire, ce qu’apportera cette union aux fans ou même plus basiquement au monde du vélo. Tout juste peut-on lire partout que Velon apportera de belles choses au vélo, aux fans et que l’équipe en question est heureuse d’en faire partie.
Chez Sky, c’est Chris Froome qui est cité expliquant que « avec le développement de Velon, les équipes pourront travailler ensemble pour apporter de nouvelles innovations et faire grandir le sport. Cela permettra de maintenir l’excitation des fans et d’en attirer d’autres ». Pas très explicite et un peu bisounours comme déclaration. Chez Trek, plus ou moins le même son de cloches avec cette fois-ci Fabian Cancellara qui déclare que « les équipes ont une histoire à raconter et que Velon permettra de faire en sorte que celle-ci soit entendue »
Sur le papier, les intentions de Velon semblent louables mais quand on regarde de plus près qui sera à la tête du groupement, on peut se poser la question des intentions réelles du groupement ainsi créé, fortement orientées vers la financiarisation du cyclisme. Ce dernier sera en effet dirigé par un britannique nommé Graham Bartlett qui a passé toute sa carrière dans le football. Il est passé par un cabinet d’avocats en charge des affaires du football, puis par l’UEFA en charge des relations commerciales, par Nike en charge de la relation avec les athlètes sponsorisés et enfin a été directeur commercial du club de football britannique de Liverpool.
Alors, que comprendre de cette union et quels buts, autres que financiers, poursuit-elle vraiment ?
Un moyen de pression face à l’UCI ?
L’UCI n’est pas l’ennemi désigné ici. Bien que les discussions ayant mené à la mise en place de Velon aient été entreprises avant l’élection de Brian Cookson, le nouveau président de l’UCI, ce groupement avait initialement pour objectif de remuer la fédération cycliste internationale sur plusieurs sujets dont tous ceux qu’on retrouve évoqués dans les communiqués. Ce n’est plus forcément le cas, pour la bonne raison que Cookson se révèle plutôt ouvert aux idées d’évolution proposées par le groupement depuis qu’il a pris possession de son poste.
Parmi les sujets évoqués, une meilleure visibilité et compréhension du circuit mondial, via une réorganisation du calendrier de courses, tout au long de l’année pour les téléspectateurs. C’est avec ce point qu’on retrouve le serpent de mer de ligue parallèle à l’UCI. C’est d’ailleurs à cause de ce point précis, qu’il estime incompatible avec sa vision du cyclisme et avec lequel il est en total désaccord que Jean-René Bernaudeau, manager de la formation Europcar, n’a pas souhaité que son équipe prenne part à Velon.
Côté FDJ, on fait part d’un souci de calendrier, souhaitant attendre et voir comment cela va évoluer dans l’optique de la réforme UCI tout en mettant en avant que le sponsor étant l’Etat français, s’allier à un organisme étranger est inenvisageable pour le moment. On peut laisser le bénéfice du doute aux français, prudents qui attendent de voir ou ne souhaitent pas cautionner un système qu’ils pressentent contraire à leur vision du cyclisme. Et d’ailleurs, qu’entendent réellement les équipes par cette volonté d’offrir une meilleure visibilité aux téléspectateurs ?
Souhaitent-ils effectivement la création d’une ligue comme la NBA ou la NFL, privatisée comme aux USA ? ou simplement la mise en place de mesures cosmétiques comme des maillots distinctifs transverses aux courses par exemple, comme c’était le cas auparavant avec le maillot de leader du Pro Tour ? Le vainqueur du Tour pourrait-il ainsi arborer le reste de la saison un signe distinctif jaune sur son maillot, celui de la Vuelta une touche de rouge et celui du Giro une touche de rose ?
Est-ce de cela qu’on parle ? car ce type d’initiatives pourrait être intéressant même si, pour ce qui est des équipements non officiels comme les lunettes, les chaussures ou encore les cadres de vélo, cela se passe déjà sans besoin d’un groupement comme Velon pour le gérer.
Un contre pouvoir face aux organisateurs ?
Mais à vrai dire ce que je pressens de tout cela est une volonté pour les équipes de créer une forte opposition aux organisateurs dans le but de récupérer une part des rétombées financières dont ces derniers profitent jusqu’ici intégralement. Indirectement, les équipes cherchent à créer un contre-pouvoir réel face aux organisateurs de plus en plus puissants à leurs yeux, notamment dans cette problématique des bénéfices générés par la retransmission des images des événements.
Contrairement aux sports comme le football par exemple, le cyclisme ne reverse pas de droits TV aux équipes professionnelles. Ces derniers sont en effet touchés par les organisateurs, ASO (Tour de France, La Vuelta, Paris-Roubaix, Flèche Wallonne, Liège-Bastogne-Liège…) ou RCS (Giro, Milan San Remo, Tirreno-Adriatico…) et cela ne semble pas prêt de changer, du moins pas avant la réforme engagée par l’UCI et prévue pour 2017. Mais, même passée cette réforme, on imagine mal, sauf à moins d’y être contraints, les organisateurs s’accorder avec les équipes pour partager le gâteau des droits TV.
A mon sens, la fronde vis à vis des organisateurs vise tout particulièrement le plus grand acteur du cyclisme mondial, ASO, de plus en plus puissant après de multiples rachats de courses ces dernières années, on pense à Liège-Bastogne-Liège ou à la Vuelta entre autres. ASO et RCS règnent en maître quasi-absolus sur le vélo et sa diffusion avec leurs partenaires publics de télévision, France Télévisions et la Rai. Selon certaines rumeurs, ASO serait même en discussion avec RCS pour un éventuel rachat du Giro.
C’est ce que rapportait Lance Armstrong dans le dernier numéro du magazine « Rouleur », ci-dessus. Le texan, décrédibilisé par le petit monde du vélo, reste bien souvent au fait de l’actualité et des rumeurs du cyclisme. Si ASO venait à racheter le Giro ou plus globalement l’activité vélo de RCS, la groupe français régnerait alors en maître absolu sur le cyclisme mondial et pourrait à tout moment décider de créer son propre championnat ou d’imposer ses règles aux équipes, ce que celles-ci ne souhaitent absolument pas.
Quid du MPCC avec Velon ?
Ce qui a choqué beaucoup d’observateurs du cyclisme lors de l’annonce de la création de ce groupement est de ne voir nulle part d’évocation du sujet de la lutte anti-dopage, regroupant déjà plusieurs équipes fondatrice de Velon dans le MPCC, mouvement pour un cyclisme crédible. A l’inverse des fondements du MPCC, Velon semble ne se focaliser que sur la génération de profit, l’augmentation de la visibilité du cyclisme et du nombre de fans, quels qu’en soient les moyens. Du moins, c’est ce qui peut ressortir implicitement de ces communiqués si on cherche à prêter de mauvaises intentions à ces équipes. Comment crédibiliser un sport sans inscrire dans les valeurs fondatrices d’un tel groupement la lutte anti-dopage ? C’est ce qu’on pourrait se dire.
En réalité, j’ai tendance à croire que ce groupement se voit plutôt comme une initiative parallèle au MPCC prenant en compte de manière implicite les travaux et acquis du MPCC. Cette initiative se focalise uniquement sur ses objectifs déclarés, c’est à dire chercher à rentabiliser le cyclisme pour les équipes, accroître la visibilité médiatique tout au long de l’année le cyclisme et le nombre de fans et tenter d’assurer une pérennité aux équipes et à leurs employés souvent fragilisées par la volatilité des sponsors.
En conservant ses valeurs, ce que j’espère en premier lieu, le cyclisme vu par Velon veut s’inspirer des sports les plus rentables pour essayer d’aider les équipes à mieux vivre et à se développer sereinement dans la durée. C’est un voeu pieux si on se souvient que plusieurs équipes ont régulièrement des difficultés à boucler leur budget. Mais l’observateur attentif remarquera que les équipes en difficulté ne sont pas celles qui sont partie prenante de Velon et là est peut-être le souci majeur. Les « gros » risquent de devenir encore plus « gros » laissant de côté les « petits » qui risquent de galérer encore plus…
Velon, une belle coquille vide à but de communication ?
Si on résume tout cela, on arrive rapidement à la conclusion que Velon pourrait n’être qu’une belle façade marketing à but probablement uniquement de communication, les équipes souhaitant mieux maîtriser leur destin et bénéficier de plus de visibilité s’associant pour créer un lobby dans le but de résister à l’UCI mais surtout aux organisateurs.
Leur rentabilité et leur pérennité sont en jeu alors que les sponsors sont de plus en plus durs à trouver et à maintenir d’une année sur l’autre. Le succès populaire du cyclisme, inversement, ne cesse de croître sans que personne, en dehors des organisateurs, n’en profite réellement. Afin de populariser leur action, le groupement reprend alors à son compte des avancées proposées depuis longtemps et expérimentées récemment, les caméras embarquées sur les vélos par exemple, stars du dernier Tour de France.
Portée par le succès de GoPro et la sortie de produits concurrents chez certains sponsors puissants comme Garmin et Shimano, la caméra embarquée devrait en effet faire un carton le jour où les TV les utiliseront judicieusement pour créer, comme en Formule 1 une réelle immersion dans le peloton. Mais que vient faire Velon là-dedans ? Je me le demande.
Populariser ou fossoyer, mince frontière ?
Pour ce qui est de populariser le cyclisme, l’intention est louable. Encore faut-il que cela ne se fasse pas au détriment de la culture cycliste ou en tentant de monétiser ce qui fait la beauté du vélo, c’est à dire l’accès pour tous et gratuitement aux plus beaux événements sportifs du monde. L’exemple récent de ce qu’a fait Flanders Classics sur le Tour des Flandres en modifiant le tracé mythique, dans un but purement mercantile, faisant passer plusieurs fois le peloton sur des secteurs mythiques, dénaturant leur impact sur la course au passage, pour alimenter des tribunes payantes, n’est certainement pas la voie à prendre. Le vélo doit rester ce beau sport gratuit et populaire et Velon doit aider à préserver les monuments de la culture cycliste.
Sur le sujet des caméras là aussi, car il semble le plus chaud côté Velon, qu’est-il réellement envisagé ? Un accès à péage aux caméras pour les téléspectateurs ayant payé un abonnement ou une intégration universelle monétisée directement auprès du diffuseur ou de l’organisateur ? La question est primordiale et la réponse apportée sera impactante pour le public et donc pour le cyclisme.
Si Velon tient effectivement à populariser le vélo et ne souhaite pas le dénaturer par l’omniprésence de l’argent, comme certaines fédérations ont pu le faire dans d’autres sports – on pense à la F1 par exemple – alors ses initiatives pourraient être intéressantes. Dans le cas contraire, Velon pourrait contribuer à plonger le cyclisme dans la crise et perdre le soutien du public, durement reconquis après des années noires, ce qui serait catastrophique pour toute son économie, encore bien fragile.
Source : Site web de Velon
Crédit Photo : Jean-René Bernaudeau par Julien Sabardu, Flickr.com – CC, Velon, Velon.cc